Sarah Jeanne Ziegler a sorti un EP (mini album) de six titres en fin d’année. Nous la rencontrons du côté du bois de Vincennes.
Beaucoup d’artistes ont créé pendant les confinements. Tu dis toi aussi avoir écrit et composé pendant cette période. Avec le recul, peux-tu nous dire comment tu l’as vécu ?
Voir Paris désert m’a choquée et surprise. J’avais l’impression d’un décor de cinéma. Mais malgré cela, le confinement est une période que je n’ai pas forcément bien vécu. Si je fais de la musique, c’est pour faire de la scène et là cela nous était interdit. Je me suis rendue compte à cette occasion que la scène était ce qui me manquait le plus en tant qu’artiste. C’est ce que je préfère et là où j’aime être.
Ce que j’ai également remarqué et qui m’a inspiré d’ailleurs, c’est la manière dont le temps se dilatait pendant cette période. Depuis, je n'appréhende plus du tout le temps de la même façon. Je sais qu’en une seule journée, on peut faire plein de choses mais d’une manière détendue. Avant j'étais toujours en train de courir. Ma perception a changé de ce point de vue là.
Pour parler de création et d'écriture, c’est vrai qu’on avait du temps pour écrire et composer mais je ne pense pas avoir été plus prolifique que sur d’autres périodes. Pour tout dire, certains titres de cet EP ont effectivement été écrits pendant cette période là, mais j’avais aussi écrit certains morceaux précédemment que je n'avais encore jamais enregistrés.
Par rapport à cette période, penses-tu que l’ennui soit facteur de créativité ?
J’ai l’impression que le vrai ennui n’existe que dans l’enfance. Adulte, il n’y a plus ce sentiment de rien. Nous avons toujours quelque chose à faire, pour ma part oui créer par exemple.
Peux-tu nous expliquer le titre de ton EP “Le Ciel n’en Finit Pas” ?
C’est une phrase issue d’un des morceaux qui s'appelle “Doudou”. “Doudou” est justement une de ces anciennes chansons que je n'avais jamais enregistrée. Quand j’ai cherché un titre pour cet EP, je n’avais pas envie de lui donner le titre d’une chanson. Je voulais un titre qui ait une signification. J’ai fait une liste de mots et de phrases issues des chansons présentes sur l’EP et celle-ci m'est apparue idéale. Il y a à la fois de la mélancolie et de l'espoir, et cela ressemble à mes chansons. Et comme dans cet EP, on y parle également de personnes disparues, il y avait ce côté évocateur du “ciel”. Pour moi, le ciel est aussi facteur d’espoir et de lumière.
Un des morceaux qu’on remarque tout de suite s’appelle “Loup-Garou”.
Au départ, je n’ai pas osé l'appeler “Loup-Garou”, j’avais peur que cela soit trop sombre alors que le morceau ne l’est pas. Elle devait s’appeler “Tu l’as dans la peau”. Et puis à la réflexion, j’ai trouvé “Loup-Garou” plus percutant. C’est l’histoire d’un sentiment non avoué. Du côté “animal” d’un désir pas forcément dit. Un animal qui a envie de lâcher le truc mais qui se restreint. C’est le loup-garou romantique que je suis allée chercher. Et puis quand j'écris, j’aime me faire des petits films, et là je voyais quelque chose de nocturne. Je savais que ça se passait la nuit. J’avais l’idée de deux êtres qui se retrouvent le soir, puis plus tard, se séparent avec cette part de non dit, et l’un des deux se retrouve seul avec sa part animale qui ne demande qu’à s’exprimer.
En général, comment se passe le processus créatif chez toi ?
Souvent j’ai un thème et effectivement des images qui me viennent. J’ai déjà expliqué “Loup-Garou”, pour “Janvier” par exemple, j’avais ces images de lumières, de saisons et à chaque titre il y a un petit côté narratif. Par exemple pour “1960”, j’ai été inspirée par un livre, mais j’avais comme un petit film en tête.
Des images couleurs ou noir et blanc ?
Et bien ça dépend. Pour 1960, j’avais des images couleurs désaturées, pour Loup-Garou, un noir et blanc très contrasté, mais aussi des touches de bleu et jaune pour la nuit dans la ville.
Mais pour répondre à ta question initiale, je compose en premier. J’ai un thème en tête, ça va m’inspirer une humeur et une “grille”, une tonalité, je compose à la guitare. A ce stade j’ai déjà des petits bouts d'écriture qui me viennent, des phrases par endroit qui se posent. Par exemple pour “Loup-Garou”, j’ai rapidement eu le refrain “tu l’as dans la peau, avoue”. Et puis ensuite, je me pose pour travailler le reste du texte, là c’est une phase plus laborieuse. Écrire en Français me demande plus de temps.
D’ailleurs tu as uniquement des chansons en français sur cet EP, ce qui est une première. Pourquoi et comment es tu passée de la langue de Shakespeare à celle de Molière ?
Écrire cet EP en français était une envie depuis longtemps et puis aussi, c’est à cause de toi Thomas, tu fais partie des gens qui m’ont incité à écrire en français ! (rires). En français, le travail du texte est vraiment important, ça demande plus de travail. Je peux retravailler mes textes longtemps, même jusqu’au jour de l’enregistrement. J’ai toujours des doutes, je suis assez exigeante, c’est encore une recherche, une exploration. Et puis aussi, tu fais écouter à des proches et tu tiens compte des retours.
Chanter en français a une réelle force car les gens comprennent, il y a un lien plus direct qui se crée avec le public. Mais le public apprécie aussi mes chansons en anglais qui véhiculent un côté folk nord américain qui fait partie de moi également.
Pourquoi un EP et pas un album ?
J’avais envie de sortir quelque chose assez rapidement, mais je n’avais pas encore assez de chansons inédites en français pour un album. Et puis il y a aussi des raisons économiques bien sûr. Je suis en auto-production. C’est quand même un “gros” EP, il y a six titres.
Dans le titre “1960”, tu évoques le parcours singulier d’une femme qui abandonne ses enfants. Peux-tu nous en dire plus ?
C’est après avoir lu le livre d’une autrice québécoise, Anaïs Barbeau-Lavalette, que j’ai eu envie d'écrire ce titre. Le thème de la femme qui prend son destin en main est quelque chose qui me parle. Dans le livre, elle fait des recherches sur sa grand-mère et découvre qu’elle a abandonné ses enfants pour vivre sa vie. Elle passe pour une personne horrible aux yeux de tous. En fait l’autrice découvre qu’elle a eu le courage de fuir les conventions de l'époque et de se libérer pour devenir artiste et vivre un autre amour, même si cela a été douloureux.
Ayant connu mes deux grand-mères, je sais qu’elles avaient des aspirations au fond d’elles qu’elles n’ont peut-être pas vécues pleinement à l'époque car elles sont restées “dans les clous”. Cette histoire m’a vraiment parlé.
À part la littérature, as-tu d'autres disciplines artistiques qui t’inspirent ?
Le cinéma ! Les films m'inspirent assez souvent. D’ailleurs une de mes premières musiques a été faite pour un film d'étudiant que j’avais réalisé. J’aime beaucoup accompagner l’image. Dans un film ça peut être un plan ou une scène qui m’inspire. J’ai aussi écrit un de mes titres “Niki” sur Niki de Saint Phalle. Je l'avais découverte petite quand mes grands-parents m’ont emmenée voir le Cyclop dans la forêt de Milly en banlieue parisienne et puis adulte, je l’ai redécouverte plus précisément lors d’une exposition au Grand Palais. Elle projette une force artistique féminine que j’aimerais atteindre un jour.
Comment as-tu découvert la folk, par quoi y es-tu venue, comment t’es-tu mise à la guitare ?
J’ai été bercée par la musique folk car à la maison mes parents écoutaient souvent Bob Dylan. Petite j’ai appris le piano classique, mais lorsque j’ai eu envie de chanter, je suis passée à la guitare. C’est mon père qui m’a appris à en jouer et j’ai eu envie de raconter des histoires, comme Dylan. Par la suite, je suis partie au Canada pour mes études et là j’ai baignée dans la musique canadienne qui est très influencée par la folk, Neil Young, Leonard Cohen etc...
Pour tes concerts, tu as souvent joué avec la violoniste Mathilde Cattin, mais pour ton concert de sortie d’EP, tu avais un groupe, guitare, basse, batterie. Pourquoi ce choix ?
J’avais envie de monter une formation pour ce concert qui soit proche de ce que l'on peut entendre sur l’EP. J’ai pu travailler avec le guitariste Paul Galiana, le percussionniste Philippe Istria et Nelson Hamilcaro à la basse. Ils se sont vraiment fondus dans ma musique et ça m’a beaucoup touchée. C'était une première pour cette formation, et j’aimerais vraiment renouveler ça. Les retours de ce concert étaient vraiment positifs. Je continue bien sûr à jouer régulièrement avec Mathilde, je suis très attachée à ce duo.
J’aimerais continuer à développer les deux formules, qui ont une vraie force artistique et musicale, et qui peuvent l’une ou l’autre mieux convenir à certaines scènes qu’à d’autres. Comme beaucoup d’artistes indés, je gère seule mon booking et ce n’est pas un travail facile, donc c’est intéressant d’être à géométrie variable. Et peut-être un jour aussi tous ces musiciens sur scène !
Pourquoi décores- tu de plumes ton pied de micro, qu’est ce que ça représente pour toi ?
C’est important de se retrouver sur scène avec un genre de doudou. Quand je décore mon pied de micro avec ces plumes, je me dis, “je suis chez moi”, c’est chaleureux. Et puis la symbolique de la plume, qui peut s’envoler, aller partout, avec laquelle on peut aussi écrire, me parle. J’en ai même une autour du cou.
La question bête de l’interview : en ce moment il fait froid, toi qui a vécu au Canada, que fais-tu pour te réchauffer ?
(Rires) Figure toi que j’ai plus froid ici qu’au Canada. Au Canada, c’est un froid sec même si les températures sont extrêmes. Je m'habille chaudement, tout simplement !
Parle nous de ce que tu fais en dehors de ton projet personnel, je crois qu’il y a pas mal de choses.
Oui, je travaille avec d’autres musiciens sur deux “ciné-concerts”, des spectacles où nous jouons en direct pendant la projection des films, nous créons la bande son, principalement sur des films d’animation... C’est un peu comme à l’origine du cinéma. Nous venons d’ailleurs de faire une tournée au Brésil, avec mon ciné-concert « 1001 Couleurs » produit par le Forum des Images.
Je joue également depuis plusieurs années dans un groupe qui reprend le répertoire de Mano Solo. Avec Justine Jérémie, on développe un duo autour des chansons françaises écrites ou interprétées par des femmes.
Et puis je fais beaucoup d’ateliers d'initiation musicale avec des enfants dans des établissements scolaires.
Quelles sont tes espérances par rapport à ton projet où pour le moment tu es seule à tout gérer ?
En effet, pour le moment je porte beaucoup trop de choses seule et j’aimerais trouver le bon entourage professionnel. Sur cet EP j’ai rencontré Alice Nicolas, une attachée de presse indépendante qui soutien mon projet auprès des médias. Et j’ai quelques appuis importants pour l’accompagnement artistique comme Vincent Cotte, l’ancien directeur de studios SMOM. Mais j’ai vraiment besoin de partenaires que ce soit un label qui puisse m’aider sur l’album (suite naturelle à cet EP) ou un tourneur pour développer les dates de concert. J’ai l’impression qu’il y a des barrières vraiment difficiles à ouvrir pour parvenir à avoir une plus grande exposition, mais je ne suis pas la seule... Il faut avancer !
Bonne continuation et on croise les doigts pour la suite. Merci Sarah.
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