« L’Odyssée », le nouvel album de Julien Bensé vient de sortir. Ce disque fait sans aucun doute partie des ceux qui m’ont le plus marqué cette année. Le fond, la forme, la singularité… Tout y est beau et intense. Il fait partie des albums rares, de ceux qu’on se sent privilégié d’écouter.
FilZik: « L’Odyssée » est un très bel album, qui ne ressemble vraiment à rien de ce que j’ai entendu jusque-là. Julien Bensé: Ce n’est pas un calcul de ma part, ni une posture esthétique mais ça me plaît d’être un peu un peu de côté formellement et même au niveau du fond de ce qu’on écoute en ce moment. Je trouve qu’au niveau du fond, en ce moment il y a un déficit. On entend toujours la même chose.
FilZik: Tu as réussi à allier une musique assez moderne dans les choix et des textes qu’on n’a pas ou plus l’habitude d’avoir. Tes textes sont plus de la poésie que des textes de chanson française actuelle, et le mélange avec la musique fonctionne tellement bien que cela rend les textes accessibles à tous. Julien Bensé: C’était vraiment le challenge ici. Évoquer des sujets assez exigeant et profond dans le propos et les alléger, les porter, avec la musique.
FilZik: Tu as tout fait seul chez toi. Comment l’as-tu construit ? À partir des textes ? Julien Bensé: Sauf pour la chanson « Le printemps » où j’avais écrit le texte avant la musique, la plupart du temps je fais tout en même temps. Le français est tellement difficile à faire sonner musicalement que je m’attelle à faire sonner chaque voyelle et chaque consonne pour qu’elle soit portée par la musique. La poésie fait partie des langages d’expression du réel. De l’explication du réel que j’ai choisi. Dans l’antiquité il y avait quatre disciplines principales des mathématiques. L’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la poésie. Je pense que ce n’est pas pour rien, si déjà à l’époque on mettait la poésie et l’arithmétique ou l’astronomie au même niveau d’explication du réel. J’en parle d’ailleurs dans le titre « Les mathématiques ». Dans cet album je voulais faire un peu la part belle à la poésie en tant qu’un des meilleurs moyens pour nous à notre échelle d’essayer d’accepter le réel et de le rendre beau ou en tout cas de lui attribuer une beauté humaine.
FilZik: Avec ce choix de tout faire tout seul, tu étais complètement libre avec une multitude d’options possible pour les arrangements de ces titres. Comment est-ce que tu as choisi ? Julien Bensé: La liberté implique aussi une discipline une responsabilité et une certaine hygiène de travail. C’est parce que je me sens libre que je m’astreins à une certaine discipline. Une fois que j’ai le squelette guitare-voix ou piano-voix, j’entends assez naturellement ce qui va venir autour.
FilZik: Musicalement c’est plus organique que l’album d’avant tout en étant très fin. Julien Bensé: L’album d’avant, il y avait la grosse artillerie derrière. Pléthore de musiciens, des cuivres, des cordes, etc. Je me suis bien amusé ! Pour celui-là j’étais seul chez moi. C’était plus à taille humaine, plus organique. On entend les grains des guitares, les doigts jouer, glisser sur les cordes. Ça me plaisait de confectionner cet album-là comme ça, en petit artisan.
FilZik: La première partie de « Météores » est une partie uniquement musicale. C’est un moment très fort de l’album je trouve. Comment t’es venu l’idée de faire deux parties à ce titre ? Julien Bensé: J’ai commencé par écrire le texte de la 2e partie. J’avais déjà tout dit dans le texte mais je trouvais qu’il manquait quelque chose. Et j’ai compris que ce qu’il manquait c’était une intro qui explique le mieux possible l’ambiance dans laquelle je voyais Paris à ce moment. C’est pour ça qu’il y a en même temps quelque chose de très beau et de très nostalgique, des sirènes, des cris…
FilZik: On parle souvent beaucoup de tes qualités d’auteur, mais en fait tu autant passionné et perfectionniste pour la composition. Tu vas aussi loin dans le travail musicalement que dans l’écriture. Julien Bensé: Oui, bien sûr. En effet le fait d’avoir fait le dernier album tout seul ça me fait aussi un peu une carte de visite pour travailler avec d’autres gens. En tant qu’auteur je suis déjà un peu sollicité depuis quelque temps, mais je commençais aussi à faire pas mal de choses en tant que réalisateur et orchestrateur.
FilZik: C’est quelque chose que tu aimes, de travailler sur d’autres projets et te mettre au service des autres ? Julien Bensé: J’adore ça, mais il faut que ça me plaise et que ça m’inspire. Je n’arrive pas à faire d’alimentaire.
FilZik: Tu as sorti cet album sous ton Label. C’est un choix pour avoir la liberté de faire ce que tu veux ? Julien Bensé: En fait, je me suis rendu compte que j’avais la main à peu près sur tout même avec un Label parce que je l’exigeais à la signature du contrat. C’est moi qui gérais les idées des clips, la réalisation, l’orchestration, les musiciens qui m’entouraient, toutes les équipes techniques, etc. C’est moi qui gérais tout. Tant qu’à tout gérer, autant le faire pour moi. Sur cet album-là je suis dans une économie telle que c’était l’album idéal pour le faire. Si le prochain projet c’est un truc énorme, peut être que là je m’entourerais d’autres partenaires un peu plus conséquents. Mais là je suis très content et assez fier d’avoir réussi à faire vivre cet album-là avec mon label.
FilZik: En parlant de clip, c’est toi qui as eu l’idée de celui de « L’Odyssée » ? D’où est venue cette idée d’un danseur de dos ? Julien Bensé: Oui, c’est moi qui aie eu l’idée. En fait, c’est venu d’une amie qui me montrait son concert dans un petit club. Elle avait mis une petite caméra sur pied pour filmer le concert et il y a un mec qui s’est calé devant. Tu ne vois que lui. Elle, elle fait de la musique progressive, planante. Et le mec devant, il dansait comme un fou. J’ai trouvé le décalage et l’image géniale. Le voir danser dans une espèce de trans, il y avait une sorte de phénoménologie hystérique qui me plaisait bien. Et je me suis dit que dans le propos de « L’Odyssée », c’est exactement ça. C’est un homme qui est foudroyé par ce sentiment-là d’être étranger à la nature de par sa condition humaine. Mettre en scène un danseur, un humain, devant des paysages qui n’ont rien à voir et qui ne sont pas là lui. Parce que la nature n’est pas là pour nous. On a réussi à mettre ça en image et c’est exactement ce que j’avais en tête. On se demande ce qu’il fait là, ce qu’il pense.
FilZik: C’est un clip qui implique le spectateur. Le danseur est tellement fascinant qu’on n’arrive pas à décrocher. On se demande à quoi il pense. On se questionne. Julien Bensé: C’est ça que j’aime bien. Qu’est-ce qu’il fait ? À quoi il pense ? Est-ce qu’il est heureux ? Est-ce qu’il est paniqué ? Ça met dans une situation. On est un peu voyeur. Il y a mille manières de réfléchir à ça, mais en tout cas ça fait réfléchir. Plus ça va plus je me suis à l’aise et libre quand je ne suis pas dans mes clips. Dans l’idée, dans la réalisation. Le fait de ne pas faire de play-back. Je trouve qu’il y a quelque chose d’hyper esthétique et hyper beau à confronter l’humain à l’absurde. De même que cet album-là nécessite une écoute active, je trouve que c’est bien quand dans les clips il y a une visualisation active.
FilZik: Tu m’as dit que tu as écrit beaucoup de textes. Tu n’as jamais eu envie de publier des textes dans un livre ? Julien Bensé: Si, j’aimerais bien. J’aimerais aussi me mettre à la littérature. J’ai des idées de nouvelles un peu absurdes, un peu à la Borges. J’ai quelques idées, quelques mises en forme, mais pour l’instant, je n’ai pas eu le temps d’avance dessus. Il faut du temps et de l’isolement pour faire tout ça, mais j’en ai envie. Les textes de l’album seront sur le site, pour que les gens puissent écouter et lire les textes.
FilZik: L’écriture, c’est quelque chose de solitaire pour toi ? Julien Bensé: Oui. Je n’ai jamais réussi à écrire à 4 mains. Peut-être parce que je n’ai pas encore rencontré la personne qui me donne envie de le faire. Mon frère a écrit « Tomber », mais là j’ai gardé la chanson telle quelle. On est tellement proche que c’est comme si c’était moi qui l’avais écrite. Je ne pense pas qu’on voit une grande différence de plume entre cette chanson et les autres de l’album. L’écriture c’est quelque chose de très personnel, de très solitaire et de très isolant. J’aime bien, je suis plutôt solitaire.
FilZik: Comme est ce que tu présenteras ce disque sur scène ? Julien Bensé: Tout seul, guitare-voix et piano-voix. J’ai envie de proposer quelque chose de différent de l’écoute d’un album. Que les gens retrouvent les chansons dans leur plus simple appareil, dans les conditions dans lesquelles je les ai composés. Le prochain concert à Paris, ça sera au Café de la Danse le 9 avril 2019.
FilZik: Depuis plusieurs années tu as fait des choses dans un délai assez proche, mais différentes. Tu as besoin d’être tout le temps en création ? Julien Bensé: Oui, j’aime renouveler les choses. Ne pas être ma propre statue comme dirait Sartre. Ne pas m’autofiger en tant que Julien Bensenior, en tant qu’individu. C’est une posture aussi philosophique. Ne pas se figer. Ne pas se transformer en sa propre caricature. Ne pas se statufier vivant. Je suis assez vitaliste pour que ça me terrifie.
FilZik: Maintenant que cet album est là, tu es déjà en route sur d’autres projets dont je suppose qu’on ne saura rien pour l’instant ? Julien Bensé: Oui. Ce n’est pas encore assez abouti pour que j’en parle, mais ça va être complètement autre chose.
FilZik: Comment vois-tu la place de la musique dans le monde actuel ? Julien Bensé: J’ai l’impression que du fait de l’omniprésence de la musique via la démocratisation et l’explosion des médias de diffusion, on arrive à une écoute de la musique en tant que musique de fond, au mauvais sens du terme fond. La démocratisation de la musique est un peu à l’image de la démocratisation en général. Je pense que les gens font ce qu’ils peuvent pour essayer d’éviter les grandes questions, mais à l’époque, quand on écoutait Bach ou Mozart, ça nous mettait face à notre âme. Avec le jazz, le blues et la chanson française à un moment aussi. Il y a plus beaucoup mais certaines personnes qui le font encore, même en musique moderne. Je suis un énorme fan de Booba. Ce mec trouve à chaque fois des punchlines hallucinantes. Contrairement à ce que pensent les gens qui ont une écoute un peu superficielle de ce qu’il, il allie un vrai propos, avec lequel on peut être d’accord ou non, avec la forme.
FilZik: Pour terminer cette interview, quelle serait ta définition de la musique ? Julien Bensé: C’est la seule langue universelle.
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