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Thomas

Interview-photos - Lisa Portelli

Le nouvel album de Lisa Portelli est sorti. Il a pour titre, “l’innocence", un véritable petit bijou. C’est une sorte de renaissance pour Lisa qui fait entrer un nouvel instrument, le piano, au cœur de son projet.


©Thomas Guerigen

Toi qui t’es fait connaître comme "chanteuse à guitare électrique", comment est venue l’idée d’adapter tes morceaux au piano ? C’est au départ une proposition d’un ami, Stébane Lamarca, pour participer à une soirée ayant pour nom “Autour du piano” organisée au Forum Léo Ferré à Ivry sur Seine. Il m’a proposé de jouer mes anciens titres accompagnés d’un piano. Et je me suis senti bien dans cet environnement, ce fût comme une révélation. Plus tard, il s’est trouvé que j’ai changé de vie. Je me suis retrouvée à partager l'appartement de Sarah Ollivier, une amie musicienne qui possède un piano. Du coup, j’ai commencé à jouer dessus. Et puis Stébane est venu régulièrement lui aussi et nous avons commencé à travailler, cette fois, de nouveaux morceaux. Le premier morceau que nous avons retravaillé était “Réalité”, un morceau que j’avais composé à la guitare, et qui là, prenait vraiment une autre dimension. J’ai alors pris la décision de faire tout un album basé sur le piano. L’apport du piano m’a fait baisser les morceaux en termes de tonalité. Ma voix était tout à coup plus grave, même si on retrouve un peu ma voix “d’avant” sur le morceau “Réalité”, mais les autres morceaux, oui, c’est bien sur ma voix, mais elle est plus grave. Et j'ai aimé ce côté là, plus crooneuse, plus raconteuse. Et même sur scène, ça m’inspire une gestuelle plus sensuelle dans laquelle je me sens bien.

C’est vrai que je sens ta voix plus chaude, plus douce, moins serrée et je te sens plus libre. Je me dis que même si tu utilises ta guitare aujourd’hui, ça ne sera plus pareil. Exactement, et oui, quand je joue de la guitare aujourd’hui, je suis beaucoup moins figée.

Avant la guitare était ma marque de fabrique. Aujourd’hui, ça m’est égal de l’avoir ou pas.

J’ai moins besoin de prouver.


J’imagine que tu es heureuse d’avoir croisé la route de Stébane Lamarca alors ?

La rencontre avec Stébane à été déterminante. C’est une des rares rencontres importantes de ma vie. L’impression de connaître une personne depuis toujours alors qu’on vient de se rencontrer. Je pense que si la proposition du “piano” au départ était venue de quelqu’un d’autre je n’y aurais peut-être même pas prêté attention. Et de plus Steban ne m’a pas fait cette proposition en tant que pianiste, il m’a fait cette proposition plutôt comme un accompagnateur de mon projet, ce fut presque un accoucheur, et c'était complètement inattendu, pas réfléchi, sans stratégie, c’est ça qui m’a plu. L’album s’est donc fait de façon totalement naturelle et instinctive, vitale. Comment as tu écrit cet album ? Ça a donc commencé chez Sarah Ollivier et puis ensuite, j’ai vécu pendant quelques mois de façon nomade. J’avais décidé de ne plus avoir de logement fixe. Mon seul point d’ancrage restait mon studio d’enregistrement. J’ai trouvé ce mode de vie très intéressant pour créer. Ça te sors de ton confort, ça t'oblige à être dans l’instant et dans l’urgence et du coup lorsque je me réfugiais dans mon studio, je pouvais créer de manière beaucoup plus agréable.

Tu as longtemps chanté les mots des autres, notamment ceux d’Andoni Iturrioz avec qui tu partageais ta vie. Comment en es tu arrivé à écrire tes propres textes ? J’ai toujours écrit, des choses parfois intimes mais là, depuis notre séparation, j’ai senti que j’avais besoin de faire mon propre chemin à ce niveau, et, il se trouve que pendant ma période “nomade”, je me suis mise à lire beaucoup de livres de poésies. Je me suis aperçu que la poésie et le piano me rassuraient. Toutes ces lectures ont donc nourri mon écriture. J’ai senti que j’avais des choses à dire avec mes propres mots. Quand tu écris, c’est d’une traite, ou c’est un processus lent ? Ça dépend. Par exemple, “Spleen” est venu d’une traite. Pour d’autres morceaux, ça peut être plus long et je peux même les retravailler jusqu'au jour de l’enregistrement de l’album. Ce que j’ai voulu faire dans cet album, c'est une cohérence des textes. du coup, effectivement, parfois je me suis autorisé à modifier certaines phrases jusqu’au dernier moment. Est ce que la période du confinement t’as aidé à créer cet album? Pas du tout, il a été créé avant le covid. On l’a juste finalisé pendant le covid. En revanche, le covid m’a plus ou moins “forcé” à faire deux clips “homemade”. Ça m’a permis de me mettre à créer des images, ce qui n'était pas forcément prévu à la base.


Parles nous des arrangements électro des morceaux de cet album. Ils sont assez élégants et subtils. Ils apportent une modernité sur des morceaux qu’on pourrait qualifier d’intemporels.

J’ai fait tous les arrangements avant de rentrer en studio, j’avais vraiment une vision précise de ce que je voulais. Guillaume Jahoul le réalisateur a réussi à sublimer tout cela, tout en restant minimaliste et en allant vers l'épure. On ne voulait pas mettre trop de choses. On voulait qu’il reste de la place, de l’air.


©Thomas Guerigen

Etais- tu familière des boîtes à rythmes et ce genre de choses? Je connaissais les boîtes à rythmes de mon ordinateur, mais là nous sommes allés plus loin. J’ai travaillé avec Jean Thévenin qui bosse avec une machine qui s’appelle l’Octatrack. Je voulais une batterie très minimaliste et juste quelques textures électro, organiques et changeantes. C’est ce qu’il a réussi à faire. Plus tard, comme je voulais retranscrire cet album sur scène, je me suis mis à la boite à rythme à mon tour et aujourd’hui je vais me mettre à l’octatrack. Merci à Jean qui m’a donné envie d’aller plus loin dans ce genre de sons. C’est un vrai instrument dont on joue. Je ne veux surtout pas lancer des séquences ou ce genre de choses. En y réfléchissant, finalement, cet album, oui, c’est “le piano”, mais c’est aussi “la boite à rythme''.

Je suis vraiment heureuse d’avoir confié mon travail à Guillaume et Jean. Nous avons travaillé de concert et je leur ai fait totalement confiance. Ils ont pris grand soin de mes créations, je ne me suis pas sentie piégée ou trahie en entendant le résultat final.


Le dernier morceau de l’album, “L’innocence” (qui lui a d’ailleurs donné son titre) est un surprenant morceau instru, au piano. On dirait presque le thème d'une bande originale de film. Tu as déjà pensé à faire ce genre de choses?

J’adorerais faire une musique de film. Mais je t’avoue que je ne cherche pas. Et comme je crois aux rencontres, j’attends celle qui me permettra d’assouvir cette envie, je suis certaine qu’elle va arriver.


Avec qui aimerais tu travailler si cela arrivait ? Jim Jarmusch ou Milos Forman (rires) oui ça me plairait bien ! Plus sérieusement, peu importe, ce qui me plairait c’est de devoir m’adapter à une histoire, de réussir à entrer dans la tête de quelqu’un pour sublimer son image.

Mais pour en revenir à cet instru au piano, c’est une envie que j’ai eu en revenant d’un concert à la philharmonie de Paris à une époque où j'écoutais aussi beaucoup de musique classique.

Les morceaux de l’album ont-ils tous été composés au piano? En grande partie oui, et parfois avec les machines sur lesquelles je composais des mélodies. Par exemple, pour reparler de "L'innocence", j 'ai eu l’idée de la mélodie sur une machine. Ensuite, c’est Nicolas Worms, musicien de l’album, qui l’a retranscrite au piano. Avant je composais à la guitare mais j’ai l’impression qu’avec le piano, j’ai plus de prise sur la mélodie


Tu projetais de travailler avec Christophe, mais ça n’a pu se faire avant sa disparition, et tu as travaillé avec Dani. Peux- tu nous parler de ces collaborations ? J’ai rencontré Christophe dans une soirée, J'aimais son côté “chercheur” expérimental. Je lui ai présenté un texte d’inspiration erotique et une mélodie. Il était partant pour le faire, j’étais heureuse. La dernière fois que nous nous sommes vus, c'était la veille du premier confinement. Nous avions même pris rendez-vous pour l'enregistrement et malheureusement, il est mort 1 mois plus tard…

Alors pour ce morceau, j’ai hésité à demander à quelqu’un d’autre, mais je ne trouvais pas qui, et puis j’avais l’impression de le trahir. Ce titre est pourtant sur l’album et je l’ai laissé sans paroles. tu l’as deviné c’est le dernier titre,“L’innocence”, l’instru dont nous parlions tout à l'heure. Et finalement, pour moi c’est comme si l’esprit de Christophe était là sur l’album.

Pour Dani, j’ai remplacé Emilie Marsh, la guitariste de Dani, sur quelques dates, c’est comme ça que je l’ai rencontrée. Et comme j’avais cette poésie dans l’album, j’ai eu l’idée de lui demander de la lire. C’est un texte qui parle de la mort, alors j’aurai pu le dire moi, mais je trouvais intéressante que ce soit une femme plus âgée qui le dise et puis Dani, quelle voix…

As-tu des envies d’autres collaborations?

En fait je n’arrive pas à me dire j’aimerais travailler avec untel ou unetelle. Je laisse les rencontres arriver. Et je ne cherche pas forcément de gens ayant de la notoriété. Par exemple, Stébane n’en a pas et j’ai créé tout mon album avec lui.


Tu as commencé très jeune dans le milieu musical. Quel bilan et quelles réflexions peux tu nous faire à ce propos. Oui, ça fait pas mal de temps que je côtoie ce milieu. Je sais maintenant qu’il faut avoir une certaine distance avec ce milieu. Aujourd’hui, je ne marche qu’au feeling des gens que je rencontre. Plus jeune j’avais envie que ça marche, j'étais plus attirée par les choses qui brillent. Quand on est jeune on croit qu’il faut avoir signé chez machin, travailler avec bidule et passer dans telle émission de tv pour réussir. Aujourd’hui je sais que je me sens chez moi. Sur les conseils de mon père, ce qui m’a surpris mais aussi boosté, j’ai d’ailleurs créé mon propre label. Je me suis aussi entourée de gens que j’aime, notamment ma manageuse qui est aussi mon éditrice Marion Richeux. Je sais maintenant que j’ai construit quelque chose de précieux, mais ça, ça prend du temps.


Avec ce monde de 2022 dans lequel on vit, que faire de “L’innocence” ?

C’est très important. L’innocence, c’est comme un acte de résistance. Comme le fait de lire de la poésie chaque jour est un acte de résistance. L’innocence dont je parle dans cet album est une innocence choisie, c’est presque une arme. L’innocence, c’est croire en une renaissance où tout devient possible, une insouciance, mais dans laquelle on garderait de la lucidité. On reste au fait de ce qui se passe, mais on ne se laisse pas envahir. Merci Lisa, souhaitons bon vent à "L'innocence".




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